« Une meilleure santé psychique des femmes grâce à l’égalité ! »

La professeure Anita Riecher-Rössler a reçu cette année le prix Pascal-Boyle de la European Psychiatric Association (EPA). Cette reconnaissance se fonde sur son engagement en faveur de psychiatrie en Europe. Le Dr. Hans Kurt s’est entretenu avec elle.

 
Professeure Riecher, votre spécialisation me remémore l’effrayant concept de la « mère schizophrénogène ». Où en sommes-nous aujourd’hui dans l’explication des influences parentales sur la naissance d’une psychose ?

Il est aujourd’hui clairement établi que d’importantes influences parentales existent, de manière différente toutefois de ce que l’on imaginait à l’époque. L’hérédité prédomine. L’environnement parental et familial peut toutefois contribuer à influencer l’apparition et le déroulement de la maladie lors de prédispositions génétiques. Il joue alors le rôle de facteur de protection ou plutôt de stress, et ainsi, de déclencheur ou d’amplificateur des symptômes. Mais il serait faux de ne voir qu’une causalité unilatérale comme aux débuts de la recherche sur l’«Expressed Emotion». A l’époque on avait seulement vu que l’évolution de la psychose était plus mauvaise dans des familles à émotionnalité négative élevée. Nous comprenons aujourd’hui que lors d’un tableau clinique lourd, les parents et la famille sont plus fortement mis sous pression, d’où la notion de «high expressed emotions». Pour influencer positivement l’évolution de la maladie, respectivement, au début de la maladie empêcher son déclenchement, parents et familles ont besoin de soutien

Vous vous êtes également intéressée aux différences spécifiques au sexe dans le développement et l’évolution des psychoses schizophrènes. Pouvez-vous nous énumérer quelques résultats de vos recherches ?

Vers le milieu des années 80, nous avons pu démontrer – à l’époque encore dans le groupe de travail autour de Heinz Häfner à Mannheim – que les psychoses schizophrènes débutent nettement plus tard chez les femmes que chez les hommes. Les femmes ont en outre un second pic de la maladie après leur 40ème année. Nous avons à l’époque également découvert que l’incidence était identique sur la durée de vie, à condition de prendre en compte la première apparition de la maladie jusqu’à 60 ans et d’inclure méthodiquement toutes les premières apparitions de la maladie dans un grand bassin de population. Nous avons à plusieurs reprises établi que diverses différences liées au sexe existent – notamment dans la symptomatique, dans le comportement face à la maladie, la neurocognition et le déroulement – mais elles sont plutôt infimes et comparables avec la population dans son ensemble. Nous sommes donc souvent face, non à des différences liées à la psychose, mais à des différences générales entre les sexes.

Outre les stéréotypes, les facteurs psychoneuroendocrinologiques jouent un rôle dans les différences dans la santé psychique des femmes et des hommes …

L’incidence protectrice des hormones sexuelles féminines, particulièrement des œstrogènes, est passionnante. Celle-ci protège sans doute de nombreuses jeunes femmes de l’apparition de la maladie. Lorsque le niveau d’œstrogènes baisse après la ménopause, la maladie se déclare. Une amélioration de la symptomatique ou de la neurocognition peut également être observée durant le cycle menstruel lors de phases de taux d’oestradiol élevé. A l’inverse, les récidives augmentent durant les phases du cycle où le taux d’œstrogènes est bas ou encore après une naissance lorsque le taux d’œstrogènes baisse drastiquement. 

Dans une interview vous parlez de psychiatrie et de psychothérapie tenant compte de la dimension du genre. Psychothérapie n’égale donc pas psychothérapie ?

Si aujourd’hui nous parlons de plus en plus de thérapies « personnalisées », nous devons commencer par des facteurs personnels importants comme le genre biologique et le genre psychosocial. Les besoins spécifiques au genre résultent d’une part de différences biologiques liées au sexe, par exemple dans le cadre de la psychopharmacothérapie, où il serait important de prendre en compte les différentes pharmacodynamiques et pharmacocinétiques des hommes et des femmes ou également l’interaction de psychotropes avec les hormones sexuelles. Dans la psychothérapie il faudrait aussi tenir compte des besoins différents des femmes et des hommes. Les charges et les facteurs de risque psychosociaux des femmes diffèrent souvent de ceux des hommes. Personnellement j’accorde de l’importance à la prise en compte en psychothérapie de la socialisation différente liée au genre, des filles et des garçons. Au fond, celle-ci a une grande influence sur les ultérieurs comportements stéréotypés et tous leurs conflits, ainsi que sur les limitations de la liberté d’épanouissement des deux sexes. Les stéréotypes des rôles liés au sexe de l’environnement ne sont pas seuls à pousser le patient dans une direction malsaine et qu’il n’a pas choisie. Il y a aussi ses propres stéréotypes internalisés et en cas de doutes, ceux du thérapeute. Particulièrement dans la psychothérapie de femmes, j’accorde de l’importance au thème de la dépendance, à la discrimination professionnelle ou dans le couple, ainsi qu’au harcèlement sexuel, aux abus et à la violence domestique. Il est également utile de reconnaître et de remettre en question les cognitions, émotions et comportements « typiques du genre ». Les femmes en général font montre d’une estime de soi moins marquée et d’une tendance aux sentiments d’échec ou de culpabilité et ainsi aux maladies dépressives. Les hommes au contraire sont moins souvent prêts ou capables de parler de leurs sentiments et font plutôt montre d’un comportement extériorisé.

La dépendance dans les relations thérapeutiques, allant jusqu’à la transgression des limites d’ordre sexuel chez les patientes est une question qui m’interpelle régulièrement. Que pouvons-nous faire contre les abus et la contrainte dans le traitement ?

C’est un thème encore relativement tabou. Nous avons ici besoin de plus d’attention, de connaissance des lignes directrices et de formations postgraduée et continue. A titre préventif nous avons ici traduit en allemand (Franke & Riecher-Rössler 2011) pour les collègues de questionnaires d’autoévaluation du College of Physicians and Surgeons of Ontario sur le respect des limites dans la relation thérapeutique. Il ne s’agit pas seulement de limites outrepassées par rapport à des patientes, mais également des relations de dépendance sur le lieu de travail, comme par exemple des discriminations pour avoir refusé des avances sexuelles. Nos jeunes collègues féminines risquent non seulement d’être en proie à d’importants conflits intérieurs, peurs et dépressions, mais aussi d’être prétéritées dans leur développement personnel.

Les femmes-médecins ne sont aussi nombreuses dans nul autre domaine médical que la psychiatrie. Pourtant il n’y a que peu de femmes-psychiatres dans la recherche et les postes de cadres. Une jeune femme peut-elle embrasser une carrière dans la recherche en plus du souhait de fonder une famille, des exigences de formation continue et du travail ?

Je réponds ici par une question : « Un jeune homme peut-il le faire ? Embrasser une carrière dans la recherche en plus du souhait de fonder une famille, des exigences de formation continue et du travail ». Vous voyez, il s’agit de stéréotypes liés au genre, notamment les nôtres que nous avons internalisés. Nous devrions les déconstruire et les remettre en question. Intégrer vie et travail, s’épanouir à tous égards devrait être possible pour les deux sexes. Les possibilités de faire carrière et d’élever une famille ne devraient pas être offertes qu’aux femmes. Les hommes aussi devraient être encouragés à se consacrer intensivement à leur rôle de père. Pour accélérer quelque peu ces processus sociétaux, une autre éducation des enfants est nécessaire, avec moins de modèles traditionnels des rôles, et des programmes de mentoring précoces, à l’école déjà et durant la formation, sur la conciliation de la vie professionnelle et familiale. De nombreux changements structurels devraient être incitatifs : un congé paternité beaucoup plus long, fixé dans la loi, le droit à la réduction du temps de travail pour les deux sexes durant la phase familiale, quotas, benchmarking et incitations pour les employeurs, salaires égaux pour les deux sexes, incitations fiscales, etc. La déconstruction des rôles traditionnels contribuerait à la liberté d’épanouissement de tous et serait propice à la santé psychique de notre société.

Professeure Riecher, toutes ces années vous vous êtes engagée pour la santé psychique des femmes. Quel est votre objectif pour l’avenir, quelles sont les nouvelles mesures urgentes nécessaire en «Women’s Mental Health»?

Je suis convaincue que l’égalité homme-femme dans la société contribue également à la santé psychique des femmes. Le bien connu « Gender Gap » lors de dépressions en est un exemple : mondialement, les femmes souffrent en moyenne deux fois plus de dépressions que les hommes. Or ce gender gap semble lentement se réduire dans les pays où les rôles traditionnels homme-femme ont perdu de leur traditionalisme, ainsi que le démontrait une vaste étude de l’OMS récemment publiée (Seedat et al. 2009). Vous voyez, j’accorde beaucoup d’importance à la prévention. Si la maladie psychique se déclare néanmoins, une détection précoce et les meilleurs diagnostics et traitements sensibles au genre ont une importance élevée à mes yeux. Pour ce faire, nous avons besoin de lignes directrices sensibles aux genres pour les diagnostics et les thérapies des maladies psychiques, d’une prise en compte beaucoup plus importante de cet aspect dans notre formation et notre formation continue, ainsi que des offres permanentes de supervision. Ceci n’est pas seulement valable pour les psychiatres, mais pour tous les intervenants dans le traitement des malades psychiques.

 


Prof. Dr. med. Anita Riecher-Rössler est professeure à la clinique universitaire de Bâle (PUK). Elle y dirige le centre sur la gender research et la détection précoce de psychoses. Elle s’est intensivement intéressée aux aspects spécifiques des troubles psychiques chez les femmes. En 1998, elle a été la première femme de l’espace germanophone à être nommée à une chaire de psychiatrie. Elle est Past President de l’association internationale pour la santé mentale des femmes (IAWMH) et rédactrice en chef du Women’s Mental Health. Elle est la première lauréate à avoir reçu le prix au Congrès EPA à Nice ce printemps. 


Le prix Pascal-Boyle se fonde sur le travail de deux pionnières de la psychiatrie au début du 20ème siècle. Constance Pascal était une psychiatre roumaine et a été en 1908, la première femme psychiatre à exercer en France. En 1925 elle devint médecin-chef d’une clinique psychiatrique. Helen Boyle, une psychiatre irlando-britannique a débuté son travail en Angleterre en 1894 et fut la première présidente du futur Royal College of Psychiatry. L’EPA attribue le prix exclusivement à des femmes qui se sont distinguées dans les domaines des soins et de la recherche en psychiatrie en Europe.

Bibliograpie

  • Seedat S, Scott KM, Angermeyer MC, Berglund P, Bromet EJ, Brugha TS, Demyttenaere K, de Girolamo G, Haro JM, Jin R, Karam EG, Kovess-Masfety V, Levinson D, Medina Mora ME, Ono Y, Ormel J, Pennell BE, Posada-Villa J, Sampson NA, Williams D, Kessler RC (2009) Cross-national associations between gender and mental disorders in the World Health Organization World Mental Health Surveys. Arch Gen Psychiatry 66:785-795.
  • Franke I, Riecher-Rössler A (2011) Missbrauch in therapeutischen Beziehungen: Möglichkeiten zur kritischen Positionierung der Ärzteschaft. Nervenarzt 82:1145-1150.


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