Psychiatre judiciaire pragmatique

Frank Urbaniok est connu. Les médias le qualifient de star des psychiatres judiciaires. Contrairement à bon nombre de ses collègues, les barreaux ne l’ont jamais limité. Il a ainsi fait avancer les choses : publiquement autour des débats de société sur le traitement des délinquants, professionnellement par le choix d’une psychothérapie résolument axée sur l’acte criminel. Son travail a durablement marqué la psychiatrie forensique moderne.

« Traiter les détenus reviendrait à protéger les victimes » selon Frank Urbaniok, un des psychiatres judiciaires les plus renommés de l’espace germanophone. L’objectif serait de réduire le taux de récidive. Il semble y être parvenu. Alors qu’il dirigeait le service psychiatrique et psychologique du canton de Zurich (PPD) entre 1997 et 2018 en tant que médecin chef, ce taux de récidive se situait à environ cinq pourcents pour les infractions à caractère violent ou sexuel. Ce fut un niveau bas, digne d’un record durant toutes ces années. Frank Urbaniok a fait des études de médecine pour devenir psychiatre. « Le lien entre les sciences humaines et naturelles ainsi que son application au quotidien m’intéresse » dit-il. La psychiatrie lui a permis d’aller au-delà de sa spécialité et de développer de nouveaux instruments.

L’auteur d’un délit doit se confronter à son acte

Frank Urbaniok a effectué sa formation postgraduée au début des années nonante à la clinique rhénane de Langenfeld entre Cologne et Düsseldorf. Lui, qui avait démarré sa formation en psychothérapie lors de ses études de médecine à Münster déjà, a d’abord travaillé comme médecin assistant dans un service de prise en charge des addictions : « J’ai toujours aimé pratiquer la psychiatrie – même les urgences ». Il a ensuite été chargé de créer une station pilote pour le traitement de délinquants sexuels souffrant de troubles de la personnalité. Rétrospectivement il estime que «  ce fut un projet passionnant et innovateur. D’une part je bénéficiais d’une large autonomie, d’autre part nous avions notre propre bâtiment sur le site de l’hôpital ». C’est à cette époque que Frank Urbaniok a développé la psychothérapie résolument axée sur l’acte criminel, connue sous le nom de « Modèle de Langenfeld ». Le modèle intensif de psychiatrie et de psychothérapie incluait notamment la reconstitution du délit, tentait de résoudre le flou cognitif ainsi que de trouver le contexte explicatif du délit et d’y travailler. Cette démarche visait à générer un niveau d’attention chez les personnes concernées et à discerner précocement l’évolution des risques. Alors qu’auparavant la prise en charge de ces délinquants se résumait à une sorte de thérapie ambulatoire en environnement stationnaire, la nouvelle démarche se déroulait sur les 24 heures d’une journée. L’équipe dans son ensemble devenait le thérapeute, les informations étaient transparentes ce qui ne suscita initialement pas l’enthousiasme parmi les personnes extérieures. Elles craignaient une surcharge des soignants. Des études ont au contraire démontré une satisfaction élevée, en particulier du personnel soignant. Le développement d’équipe a pris une autre dimension : « En tant qu’équipe, nous devions savoir faire et porter ce que les patients devaient apprendre ». Cela incluait tous les collaborateurs. 

L’évaluation structurée du risque gagne toujours plus en importance

Il raconte que les patients apprennent aussi à prendre leurs responsabilités : « Auparavant, lorsque l’assemblée des résidents débattait du thème « règlement de cuisine », l’équipe de prise en charge se chargeait généralement de résoudre le problème. Puis nous avons rendu cette responsabilité au groupe de patients qui a appris à résoudre la question de façon autonome. Notre principe était de « régler autant que nécessaire, mais aussi peu que possible ». La responsabilité individuelle était le maître-mot. Nous pouvions ainsi faire des choses qui aujourd’hui dépassent l’imagination ». Les résidents voulaient par exemple aller au camping durant une semaine de temps libre : « nous les avons alors chargés d’assumer la responsabilité de la sécurité et de développer eux-mêmes un concept ad hoc ». Cela aurait bien fonctionné. Il a une vision pragmatique du travail avec les auteurs d’actes de violences et d’ordre sexuel. A la question sur le rapport au mal, Frank Urbaniok répond par un signe de dénégation. La morale ne résout pas le problème. Il s’intéresse bien davantage à l’explication de l’acte criminel : « Ce que fait une personne et sa façon de le faire révèle quelque chose sur la personne qui le fait ». Un acte criminel comportant des éléments de planification ne peut pas avoir été réalisé sous le coup de l’émotion, dit-il. « Nous cherchons des plausibilités entre le comportement et l’acte criminel et les comparons aux descriptions de l’auteur ». En 1995, Frank Urbaniok rejoignit autorités judiciaires de Zurich en tant que chef de clinique. En 1992, l’auteur d’un meurtre commis pour des motifs sexuels a récidivé lors d’un congé et assassiné une jeune femme au Zollikerberg. « La justice dans son ensemble était encore en état de choc trois ans après. On se demandait ce qui n’allait pas et ce que nous pourrions améliorer. L’évaluation du risque et la diminution des risques de récidive étaient des thèmes brûlants » dit-il. Un an après, il était promu médecin chef et chargé de réorienter le système existant. Il instaura son approche axée sur l’acte criminel, son modèle de psychothérapie stationnaire basé sur la notion d’équipe et transforma et construisit la psychiatrie forensique. Le PPD passa de six à 60 collaborateurs qui prenaient en charge près de 1'500 délinquants par an. Le département de psychiatrie forensique du pénitencier de Pöschwies où l’on traite les délinquants intensivement et presque 24 heures sur 24, est son bébé.

Le système a ses limites

Pour l’analyse de risque, Frank Urbaniok a développé un système standardisé d’évaluation forensique de la thérapie et du risque : FOTRES. Il s’agit d’un système indépendant de diagnostic axé sur le risque. Frank Urbaniok est convaincu de l’existence d’un petit groupe de délinquants extrêmement dangereux et non amendables. A l’instar du meurtrier du Zollikerberg qui avait auparavant déjà commis 30 infractions contre la propriété privée, 11 viols et deux meurtres à caractère sexuel. « Pour tous les autres, nous devons tout mettre en œuvre pour qu’ils ne soient plus dangereux ». Outre les principes de la culpabilité et de la peine, il défend donc le principe de la prévention, car 99% des délinquants seront un jour remis en liberté. « Sans thérapie, la plupart demeurent dangereux ». Des pronostics de risques et des thérapies différenciés sont nécessaires et dans quelques rares cas également des internements. Frank Urbaniok était membre du groupe de travail du Conseil fédéral pour la mise en œuvre le l’initiative sur l’internement acceptée par le peuple. En Suisse, un délinquant peut être interné s’il a commis un délit grave, son risque de récidive est élevé et que ses perspectives de thérapie sont mauvaises. L’internement à vie est prévu pour les auteurs d’actes de violence ou d’ordre sexuel extrêmement dangereux et absolument non amendables. Cette différentiation échauffe actuellement les esprits dans le cas « Rupperswil ». Selon Frank Urbaniok « les systèmes psychiatriques de diagnostic peuvent témoigner d’une maladie, mais pas de la dangerosité de l’auteur ». Les systèmes de classification de psychiatrie générale selon CIM ou DSM ne se prêtent ainsi pas à l’indentification des risques. Les diagnostics psychiatriques n’expliquent donc pas un acte criminel. D’où l’existence de FOTRES. Les experts ont déclaré l’auteur des faits de Rupperswil amendable, parce qu’ils jugent amendables les diagnostics posés. Ils ont pourtant eux-mêmes reconnu que ces diagnostics ne permettent pas d’expliquer le meurtre de quatre personnes. Frank Urbaniok a à cet égard formulé l’objection suivante : « Mais si l’on ne sait pas pourquoi quelqu’un a commis un délit, on ignore également ce qui doit changer pour diminuer le risque de récidive. On ne peut donc pas dire qu’il est amendable ».

La voix de la psychiatrie judiciaire

Sa critique de l’expertise de Rupperswil lui a valu le reproche d’interférer dans l’indépendance de la justice. Mais Frank Urbaniok réplique : « L’indépendance des autorités judiciaires n’est pas menacée par l’expression d’un avis d’expert. Le juge peut décider lui-même si l’avis le convainc ou non ». Il concède toutefois : « Je m’immisce volontiers et me prête au débat public ». En effet, la psychiatrie forensique se situe à la croisée de la psychiatrie, de la justice, de la politique et de l’opinion publique. Tout dépendrait ainsi de l’interprétation du rôle. Frank Urbaniok ne craint aucun thème. Il dit aussi des choses comme : « les gens intelligents savent que le pouvoir est toujours un phénomène fugace et au fond superficiel ». Parmi la population, Frank Urbaniok bénéficie d’une grande confiance de par sa manière ouverte et claire de communiquer et son expertise. Il a systématiquement tenu sa famille à l’écart de la vie publique. Il a reçu de nombreuses menaces de mort. Les années passées il a beaucoup travaillé, était disponible en permanence. En tant que professeur d’université il a rédigé en tant qu’auteur ou coauteur, plus de 100 livres, contributions ou articles scientifiques. Atteint d’un cancer, il a quitté cet été le service psychiatrique et psychologique du canton de Zurich où il a été médecin chef pendant 21 ans. Aujourd’hui il travaille à nouveau comme expert, thérapeute et professeur à un taux très réduit. Il qualifie sa maladie d’importante césure dans sa vie : « Ce qui prenait avant un jour, me prend aujourd’hui une semaine ». Comme bien des aspects de sa vie, il aborde cela aussi de façon pragmatique.  

Le professeur et médecin spécialiste en psychiatrie et psychothérapie Frank Urbaniok a marqué de son empreinte la psychiatrie forensique de ces 25 dernières années comme nul autre. Frank Urbaniok a été médecin chef du service psychiatrique et psychologique (DDP) à l’office de l’exécution des peines du canton de Zurich. Il travaille aujourd’hui dans son propre cabinet en tant que thérapeute, superviseur et expert. Le défenseur de l’approche thérapeutique spécifiquement axée sur l’acte criminel a fondé le modèle du traitement stationnaire collaboratif (TSB en allemand). Il a développé un système spécifique de diagnostic comme instrument de gestion de qualité et de documentation pour l’évaluation du risque que représente un délinquant (FOTRES) ainsi que de multiples programmes et méthodes thérapeutiques. Le professeur Urbaniok faisait également partie du groupe de travail du Conseil fédéral sur la mise en œuvre de l’initiative sur l’internement et a pris part à diverses auditions politiques d’experts sur le plan national et international.

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